Sophie Gleizes, anthropologue au pays des Nenets

Sophie Gleizes, anthropologue au pays des Nenets

Quel est ton métier ? et qu’est-ce que tu étudies ?

Je suis doctorante en anthropologie à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales) et au Laboratoire d’Anthropologie Sociale du Collège de France (LAS). Je travaille sur l’apprentissage des rapports au vivant dans l’enfance chez les Nenets des forêts en Sibérie Occidentale (Russie), une communauté d’éleveurs de rennes et chasseurs-pêcheurs.

Qu’est-ce qui te passionne dans ce que tu étudies plus particulièrement ?

L’apprentissage d’un certain rapport au monde et d’un mode perceptuel spécifique au sein de la forêt dès le plus jeune âge, ainsi que les conceptions autochtones de la personne (bien souvent étendues à d’autres humains, à l’écosystème).
Je m’intéresse aussi beaucoup aux rencontres improbables entre des éléments locaux et « globaux ».
Eleveurs de rennes Nenets - Yamal - Sibérie - Russie


Comment les peuples que tu étudies voient le monde ?

Traditionnellement, la vision du monde des Nenets est animiste ; c’est-à-dire qu’il existe une continuité sociale entre les humains et les entités non-humaines animales, végétales, spirituelles, géologiques, etc. Celle-ci est manifeste dans les codes de conduite des nomades au sein de la toundra, notamment dans leur gestion collective des ressources de l’écosystème.
Après des années de contacts plus ou moins forcés avec les « étrangers » (Soviétiques, Russes, missionnaires étrangers, etc.) leur vision du monde est imprégnée tout à la fois de celle du monde de la toundra et de la taïga, et de celle des « nouveaux arrivants ». Bien qu’ils affirment l’existence d’une distinction claire entre les deux, les frontières sont poreuses entre ces mondes.

Est-ce qu’ils utilisent des plantes médicinales et as-tu des exemples ?

Oui ! Il existe toute une médecine de la taïga et de la toundra. On utilise différentes espèces de baies : par exemple, les plaquebières sont utiles en cas de migraine, les myrtilles des marais aident contre la constipation et les airelles rouges, associées au romarin, soignent l’asthme. Du côté des champignons, l’amanite tue-mouches est parfois utilisée contre les varicoses et pour renforcer l’immunité, et le chaga de mélèze contre les maladies
pulmonaires.
 

Peux-tu partager un rituel ?

Lorsqu’une femme s’apprêtait à donner naissance à un enfant dans une tente nomade, une femme chamane était invitée à accomplir un rituel de purification visant à faire revenir dans le monde des vivants la mère et l’enfant, une fois ce dernier né.
À l’aide d’une fumigation, préparée à partir d’un morceau de fourrure et des os de loutres (ou castor), de copeaux et bourgeons de bouleau, de racines et de branches de romarin sauvage, ainsi que de champignon chaga, la chamane nettoyait la mère, l’enfant, son berceau, l’espace domestique, les objets que la mère avait touchés.
 
Qu’est ce qui te touche le plus dans ces rencontres lointaines ?
L’humour que l’on parvient à partager malgré nos situations si différentes !
 
Que devrions-nous apprendre d’eux ?
Beaucoup ! Mais pour ne citer qu’un exemple : l’éducation de la forêt. Les enfants dont les parents nomadisent sont habitués très tôt à connaître la forêt comme leur poche et à être autonomes et responsables, avec un véritable rôle au sein de leur communauté.

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